Lilith, du mythe à l’icône
20 novembre 2024Elle est décrite comme une démone tueuse d’enfants, une succube à l’appétit sexuel insatiable, séduisant et abusant des hommes pendant leur sommeil.
Lilith est la figure par excellence qui navigue entre attrait et répulsion. Tour à tour dépeinte comme une déesse, une démonesse ou une incarnation de la féminité insoumise, sa figure fascine tout comme elle dérange. De la mythologie antique à la culture populaire contemporaine, elle s’est réinventée à travers les âges et les civilisations, gagnant au passage des points de noblesse et de sympathie. Retour sur sa lente évolution à travers les millénaires.
Les origines de Lilith
Lilith a-t-elle toujours été ce démon-serpent qui aime s’adonner aux plaisirs de la chair ? Pas tout à fait, et son existence précède même celle la Torah ou la Bible. Les premières apparitions historiques de Lilith sont mentionnées dans des textes mésopotamiens datant du IIIe millénaire avant JC. Elle s’incarnait alors (dans les textes ou les arts) sous forme de démons ou d’esprits du vent. D’ailleurs, son nom, Lilith, proviendrait du sumérien líl qui signifie vent.
Son histoire la plus emblématique est narrée dans l’épopée de Gilgamesh où elle apparaît sous la forme d’un esprit hostile résidant dans l’arbre sacré d’Inanna. Il s’agit alors d’une créature nocturne, menaçante, errante et représentant la mort et la maladie, une représentation typique des démons de l’époque.
Mais cette vision tranche assez avec celle (plus connue et nettement plus récente) de la tradition hébraïque qui date du Xème siècle ! C’est celle qu’on connait le mieux : Lilith serait la première femme d’Adam, créée à partir de la même terre que lui. Refusant de se soumettre à l’autorité d’Adam, notamment sur le plan sexuel (elle veut être son égale), Lilith prononce le nom de Dieu et s’enfuit du Jardin d’Éden. Cet acte de désobéissance lui vaut d’être transformée en démon et de subir l’atroce punition de voir tous ses enfants mourir. Mais de gagner au passage le pouvoir de tuer ceux des autres.
Cet épisode est crucial car il place Lilith dans une position de rejet de la subordination, ce qui la distingue radicalement des autres figures féminines des traditions religieuses, qui sont souvent cantonnées à des rôles de douceur ou de maternité. Lilith incarne ainsi une rupture avec l’ordre patriarcal, ce qui préfigure son appropriation par les mouvements féministes.
Lilith devient un symbole avec le développement de la littérature
À partir du XIXe siècle, Lilith commence à être réinterprétée à travers une nouvelle grille de lecture. Par exemple « Lilith, The Legend of the First Woman » (1885) de la poétesse américaine Ada Langworthy Collier redessine la légende juive pour la transformer en une incarnation de l’amour maternel.
Dans son roman Lilith (1895), l’écrivain écossais George MacDonald, reprend le prénom Lilith dans cette fantasy victorienne où le protagoniste explore un monde étrange. Le roman est davantage une exploration spirituelle et philosophique, où Lilith est une figure symbolique représentant la lutte entre rébellion et rédemption, le bien et le mal.
En France, Alfred de Vigny, Anatole France ou encore Victor Hugo se sont tous emparés de la figure ambivalente de Lilith dans leurs écrits, que ce soit pour incarner la jalousie ou la descendance de Satan. Lilith s’émancipe du carcan du mythe religieux, elle devient alors une allégorie, la face sombre qui réside en chaque femme.
Cette réappropriation prend une ampleur nouvelle avec la montée des mouvements féministes des années 1960 et 1970. La figure de Lilith est alors perçue comme une héroïne de la révolte contre l’oppression patriarcale. Dans le cadre de la seconde vague féministe, Lilith devient un symbole de la revendication du droit à l’autonomie sexuelle, du refus de l’assignation des femmes à des rôles domestiques, et de la résistance aux normes oppressives.
En Belgique, fin 1979, le magazine féministe Lilith Feministisch Infoblad permet de tenir les femmes informées de nouveaux mouvements sociaux. L’ouvrage de Judith Plaskow The Coming of Lilith: Essays on Feminism, Judaism, and Sexual Ethics (1972 -2003), publié en 2005, tient aussi compte de cette nouvel emblème émergent de lutte pour la liberté sexuelle des femmes.
En 1996, le festival féministe et lesbien « Lilith Fair », créé par la musicienne Sarah McLachlan, renforce l’association entre cette figure mythologique et l’idée de libération féminine, surtout dans le domaine de l’intime et de la libre orientation sexuelle. Lilith devient ainsi un étendard pour celles qui refusent de se plier aux règles sociales imposées aux femmes.
Une de ses consécrations la plus récente ? En 2023, Lilith devient une figure centrale dans le très célèbre jeux vidéo Diablo 4 de Blizzard Entertainment. On la retrouve sous les traits (ou les pixels ?) d’une dangereuse séductrice aux cornes diaboliques.
De la plume de Victor Hugo aux graphistes de jeux vidéos, Lilith prête son prénom sulfureux à tous ceux qui souhaitent explorer les forces sombres (et démoniaques) des femmes. Bannie du jardin d’Eden, elle prend finalement sa revanche au XXIème siècle en redevenant populaire dans le cœur des petits et des grands !
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