L’hypothèse des baiseurs sournois

Gwendoline Casamata 1 novembre 2025

Dans l’arène tourbillonnante de la séduction humaine où les regards, les intentions, les fantasmes et les désirs s’entrelacent dans une valse fourbe, surgit une hypothèse qui, à première lecture, paraît tout droit sortie d’un manuel de zoologie : l’hypothèse du « baiseur sournois ». Formulée à partir d’observations animales et transposée avec une pointe provocatrice à l’espèce humaine, cette idée suggère qu’il existerait, parmi les individus, une strate (souvent masculine) dont la stratégie sexuelle ne repose pas sur la démonstration virile, le chant de guerre ou le torse bombé, mais sur la ruse, l’imitation et la furtivité. En bref, la sournoiserie. Dans la nature, ce comportement est associé au Lézard mâle imitant la femelle pour obtenir l’accès à celle-ci. Il se glisse entre les mâles dominants enragés et se surnomme « sneaker » en biologie évolutive. Mais cette stratégie animale a-t-elle vraiment son pendant chez l’être humain ? L’hypothèse du « baiseur sournois » invite à scruter notre propre sexualité à travers un prisme évolutif, à observer les circuits secondaires de la séduction, les chemins détournés, les zones grises de la conquête et peut-être à nous interroger sur nos propres manœuvres et motivations. Cet article de presse se propose donc d’examiner cette hypothèse.

Anatomie d’une stratégie sournoise

Pour bien comprendre l’hypothèse du baiseur sournois, il est indispensable de plonger dans les tréfonds de la biologie évolutive, là où les mâles dominants défendent leur harem, construisent leur territoire, exhibent leurs plumes ou leurs bois et où quelques mâles « outsiders » se glissent par la tangente pour accéder à la fameuse femelle. Le concept d’« Alternative Reproductive Tactics » (ARTs) ou de stratégie de reproduction alternative est au cœur de ce mécanisme.

Prenons l’exemple du lézard Uta stansburiana. Dans cette espèce, trois morphes de mâles sont identifiés : les orange-gueules dominants, les bleus modérés, et les jaunes qui imitent la femelle pour s’immiscer. Les jaunes jouent donc la carte de la furtivité. Et par analogie, on parle alors de mâles sournois pour ceux qui ne s’engagent pas dans la guerre frontale mais dans une ruse discrète. Dans le monde des poissons, des crustacés ou des oiseaux, ces « sneakers » (littéralement « piégeurs de copulation ») profitent de l’absence d’un mâle dominant ou de sa distraction pour féconder la femelle.

Mais pourquoi cette stratégie existe-t-elle ? La réponse se trouve dans la logique darwinienne. Si la compétition pour les partenaires est forte et dominée par les mâles les plus armés (corps plus gros, ramures et comportement agressif), les mâles de moindre statut ou taille peuvent adopter une alternative. Plutôt que de se battre, ils contournent l’obstacle.

Dans une chronique parue récemment, Jesse Bering, un psychologue américain, évoque l’idée que cette stratégie pourrait s’appliquer à l’homme. Selon certains chercheurs, les mâles ancestraux présentant des traits plus féminins auraient bénéficié du même genre d’avantage. Un mâle moins musculeux ou considéré comme moins dominant pourrait donc utiliser des tactiques de séduction moins frontales (ruse, mimétisme et subtilité), pour obtenir des partenaires. Une stratégie bien identifiée, documentée chez les animaux et qui invite à penser à l’humain d’une autre manière. Mais qu’en est-il vraiment ?

Humains, drague et réseaux

L’hypothèse du baiseur sournois peut paraître caricaturale appliquée à l’Homo sapiens. Mais au-delà des stéréotypes, que peut-on en tirer ? Sur le plan métaphorique, il est facile d’imaginer des équivalents humains : l’homme pour qui la drague frontale est une bataille perdue, et qui mise sur la subtilité, le message maladroit mais bien placé, la prise de contact indirecte ou la stratégie de la préférence des petites attentions. Certains forums de séduction parlent même de “soft game” vs “hard game”, aux « nice guys » qui esquivent la posture virile et misent sur la complicité et la finesse.

Pour autant, scientifiquement, la démarche reste fragile. Comme le rappelle l’article du journal Le Point, à ce jour, il existe bien peu de preuves directes étayant l’hypothèse du baiseur sournois chez les humains. On ne dispose pas d’études solides montrant qu’un sous-groupe d’hommes adopte consciemment une stratégie sournoise reproductrice dans le sens biologique strict. Il s’agit donc pour l’heure davantage d’un modèle heuristique et provocateur que d’une théorie pleinement validée. Il faut aussi noter que les humains sont dotés de culture, de symboles, de conscience réflexive et de langage, ce qui rend la transposition directe des mécanismes zoologiques périlleuse. Le contexte historique, social et économique pèse lourd. L’accès à la séduction ne dépend pas seulement du corps mais du capital culturel, de l’éloquence, de la présence sur les applis et de la présentation de soi.

Néanmoins, dans le paysage de la vie amoureuse contemporaine, on peut repérer des usages qui évoquent ce modèle. La drague « soft », indirecte, consiste à créer un lien distant puis glisser une invitation et attendre que l’autre fasse le premier pas. Ici, la force brute n’entre pas en jeu. On peut également voir une forme de furtivité numérique dans l’utilisation des réseaux sociaux ou des applis. Ils permettent d’observer avant d’intervenir, de glisser un like, un commentaire et de s’introduire dans le champ de l’autre sans confrontation. Miser sur les zones grises de la connexion affective sans laisser ouvertement transparaître l’intention romantique ou sexuelle peut être aussi une stratégie de roulage lent visant à contourner la méfiance, le rejet frontal et l’égo blessé.

Mais ce qui rend le modèle fécond, ce ne sont pas tant ses preuves empiriques, que ce qu’il permet d’éclairer : les stratégies secondaires de la séduction, la pluralité des styles, la reconnaissance que la puissance n’est pas le seul levier du désir et que la subtilité peut être redoutable. Cela renvoie aux injonctions culturelles de l’homme actif, dominant, encore majoritaire dans l’imaginaire. Mais l’essor de la gent plus douce, plus lyrique et qui choisit la finesse dans son approche fait réfléchir.

Pouvoir, consentement et narration de soi

La stratégie sournoise tourne autour d’un pouvoir discret : celui de passer inaperçu, de contourner la vigilance des dominants et de surprendre. Dans un sens, c’est la célébration de l’outsider, du petit joueur qui gagne par la ruse. Mais ce pouvoir est ambivalent. Il existe parce que l’espace est occupé par des dominants. Dans la sphère humaine, cela se traduit par des rapports de genre, de statut social et de capitaux divers (culturel, économique et symbolique). L’individu sournois n’est pas nécessairement celui qui ne peut pas rivaliser. Parfois il choisit de ne pas rivaliser et de jouer sur un autre terrain. Mais cette stratégie peut aussi refléter une marginalisation ou une exclusion.

Et quand on parle de sournoiserie dans le domaine de la séduction, surgissent rapidement des questions d’éthique : manipuler l’apparence, dissimuler ses intentions ou user de stratégies pour obtenir un autre résultat que la simple expression sincère du désir peut flirter avec la manipulation. Il convient donc de distinguer la tactique fine (qui opère dans le jeu de l’attirance et de la séduction consentie) de la manœuvre coercitive (qui transforme l’autre en instrument). L’hypothèse du baiseur sournois, si on l’applique à l’humain, invite à se demander jusqu’où la ruse est-elle acceptable dans l’arène du désir.

L’hypothèse ouvre une piste d’une esthétique alternative de la séduction. La figure de l’homme (ou de la femme) baiseur sournois incarne un nouveau style : celui de la subtilité, du timing, de l’attente active et du glissement discret. Dans notre monde saturé d’images, de mises en scène et de performances de séduction, cette alternative possède le charme de l’élégance cachée. Elle suggère que la séduction n’est pas uniquement spectacle mais atmosphère, qu’elle peut être tactique sans être cynique et qu’elle peut viser le désir sans le conquérir à l’arme lourde. Mais elle suppose aussi une conscience de soi, une capacité à jouer avec l’image et un jeu de rôle assumé.

Au terme de cette exploration, que retenir de l’hypothèse du « baiseur sournois » ? D’abord, qu’en empruntant à la biologie évolutive le concept de stratégie alternative de reproduction, elle offre une métaphore pour observer nos propres dynamiques de séduction et nos tactiques détournées. Ensuite, qu’elle n’est pas, pour l’heure, un modèle pleinement validé pour l’espèce humaine. Il revient à chacun de considérer ces tactiques avec lucidité : la ruse n’est pas mauvaise en soi, mais elle devient dangereuse si elle trahit le consentement, l’authenticité ou le respect de l’autre. En somme, dans l’arène contemporaine de la séduction, où dominants flamboyants et stratèges discrets coexistent, la figure du baiseur sournois nous rappelle que la conquête n’est pas toujours frontale, que le désir s’immisce parfois par un crochet latéral et que la féminité ou la masculinité ne déterminent pas les stratégies amoureuses. À chacun d’opter, à sa manière, pour le mouvement qui lui convient qu’il soit frontal, discret ou hybride.

A lire aussi :

Je drague donc je suis !

Avec Cupidbot, l’IA drague à votre place !

Séduction : top 3 des instruments de musique irrésistible


Réagir à cet article

Votre adresse de messagerie ne sera pas publiée. Les champs obligatoires sont indiqués avec *

interstron.ru