Un parasite de chat sabote la fertilité masculine

Gwendoline Casamata 26 novembre 2025

Dans l’arène silencieuse des cellules reproductrices masculines, une révolution microscopique est en train de se jouer. Et elle pourrait bien bouleverser nos visions établies de la fertilité. Un hôte discret, présent chez près d’un tiers à la moitié de la population mondiale, semble s’être immiscé dans l’intimité des organes reproducteurs masculins pour y semer la zizanie. Il ne s’agit pas d’une mutation génétique, ni d’un effet chimique de notre modernité, mais d’un parasite : Toxoplasma gondii, que l’on associe habituellement aux chats, à leurs litières et à la toxoplasmose. Certains travaux scientifiques allemands suggèrent qu’il pourrait littéralement décapiter des spermatozoïdes, entraînant un nouveau chapitre dans la saga de la baisse de la fertilité masculine. Cette perspective troublante d’un parasite touchant 30 % à 50 % de la population infectée et leur spermatozoïde à la tête détachée, la mobilité amoindrie et la mitochondrie fléchie, s’impose progressivement comme une pièce possible d’un puzzle bien plus vaste. Entre angoisse sanitaire, biologie fine et enjeux sociétaux, nous naviguons ici à l’intersection de l’épidémiologie, de la reproduction et de la vulnérabilité masculine.

Le parasite sous loupe

À première vue, Toxoplasma gondii n’a rien d’un super-vilain, c’est un protozoaire bien banal, familier des vétérinaires, des propriétaires de chats et des femmes enceintes. Mais la banalité est ici trompeuse. Selon les estimations, entre 30 % et 50 % de la population mondiale en serait porteuse. Le chat est l’hôte définitif du parasite. Il excrète dans ses fèces des oocystes qui, sporulés dans l’environnement, infectent divers hôtes intermédiaires comme l’humains, les rongeurs et les oiseaux. On peut donc être contaminé par consommation de viande insuffisamment cuite, de légumes mal lavés ou par contact avec la litière. Une fois dans l’organisme humain, le parasite forme des kystes persistants dans le cerveau, les muscles, les yeux et les organes. C’est son modus operandi.

Mais aujourd’hui la donne change. Des chercheurs allemands (notamment de l’université de Justus‑Liebig‑Universität Gießen) ont mis en évidence que le parasite peut non seulement franchir la barrière hémato-testiculaire mais aussi entrer en contact direct avec des spermatozoïdes, dans des conditions expérimentales in vitro et en décapiter une fraction significative après seulement quelques minutes. Après cinq minutes de contact, 22,4 % des spermatozoïdes observés perdent leur tête comparée à 1,6 % dans le groupe contrôle. Au bout de dix à quinze minutes, la proportion monte encore. D’autres anomalies comme une queue tortillée ou des mitochondries en dérive ponctuent le spectacle. Ces résultats sont tirés d’analyses en microscopie électronique. 

Les scientifiques restent mesurés. On ne sait pas encore précisément comment cette décapitation se produit. L’hypothèse majoritaire est la perte de la membrane mitochondriale du spermatozoïde, suivie d’un effondrement de la motilité, puis du détachement de la tête. De plus, on ignore encore si cette interaction in vitro se traduit systématiquement par une perte de fertilité in vivo. Les kystes testiculaires humains de T. gondii ont été documentés, il reste à relier le tout à la clinique. À ce stade, le tableau est le suivant : un parasite ultracommun, une cible hautement spécialisée (le spermatozoïde) et un effet spectaculaire. Mais une question demeure. Quel est le rôle réel de cette interaction dans le déclin de la fertilité masculine observé globalement ?

Fertilité masculine en déclin

Depuis plusieurs décennies, les études rapportent une baisse marquée de la qualité du sperme et de la fertilité masculine. Un phénomène que la science peine à expliquer. Les études montrent une diminution du nombre moyen de spermatozoïdes, de leur motilité et parfois de leur morphologie, chez des hommes en bonne santé apparente. On parle d’une chute pouvant atteindre plusieurs dizaines de pourcentages depuis les années 70. À cela s’ajoutent des taux d’infertilité masculine en nette progression. Ces constats alertent les sociétés d’andrologie, les organismes de santé publique et les démographes. Les causes avancées sont nombreuses. On parle de perturbateurs endocriniens, d’obésité, de sédentarité, de tabagisme, de stress oxydatif, d’alimentation ultraprocessée et de perturbations hormonales environnementales…

Mais paradoxalement, aucun facteur unique ne rend compte pleinement de l’ampleur et de la rapidité du phénomène. Le parasite entre en scène comme nouvel acteur perturbateur potentiel. Et si un parasite aussi présent dans la population peut, dans certaines conditions, endommager ou détruire les spermatozoïdes, on peut formuler l’hypothèse qu’il contribue modestement ou massivement à la réduction de la fertilité masculine. L’étude de Jana Hlaváčová et al. (2021) montre que chez 669 hommes, ceux porteurs d’une toxoplasmose latente ont une concentration de spermatozoïdes et une motilité significativement inférieure à ceux non infectés. Cette corrélation ne prouve pas la causalité, mais elle donne du poids à l’idée que l’infection pourrait jouer un rôle. La découverte récente de la décapitation de spermatozoïdes par le parasite renforce ce scénario.

Mais avant de tirer des conclusions hâtives, il est essentiel de souligner certaines réserves. L’étude « décapitation » est in vitro, réalisée sur un nombre limité de donneurs (30 volontaires) et avec un parasite de souche unique dans des conditions contrôlées. Le passage à l’organisme humain reste à démontrer. La prévalence de l’infection par T. gondii, quoique élevée, n’a pas augmenté de manière spectaculaire dans les pays à revenus élevés ces dernières décennies, alors que la fertilité est en forte baisse. Il s’agit donc plutôt d’un facteur parmi d’autres. Et on ignore encore si le dommage est réversible ou s’il conduit à une stérilité définitive. Les mécanismes restent à préciser. Enfin, la fertilité masculine est un phénomène complexe, multifactoriel, avec des influences hormonales, environnementales, génétiques, nutritionnelles, etc. Le parasite ne remplace pas ces composantes mais il peut venir s’ajouter.

Implications cliniques, sociétales et éthiques

Si l’idée se confirme, les ramifications sont vastes, tant du côté médical que sociétal. Les services de fertilité pourraient devoir intégrer la toxoplasmose dans l’évaluation des hommes. Actuellement, on mesure la numération, la motilité, la morphologie des spermatozoïdes, tou en explorant les causes hormonales, infectieuses et génétiques. Il faudrait peut-être ajouter un dépistage sérologique de T. gondii pour envisager les effets d’une infection chronique dans les testicules et réfléchir à un traitement adapté. Au lieu de considérer l’infertilité masculine comme un problème de « mauvais sperme », on pourrait le voir comme un impact infectieux et environnemental. Cela qui ouvrirait des pistes de prévention.

Sur le plan sociétal, cette découverte nourrit une inquiétude plus large. La qualité de la fertilité masculine n’est pas seulement une donnée technique de médecine reproductive, mais un indicateur de santé publique, de continuité démographique et de bien-être. Si un parasite que l’on associe à l’univers des chats et de la litière peut, dans certaines conditions, réduire la fertilité masculine, cela remet en cause nos sécurités apparentes autour de la nourriture, l’hygiène et les contacts avec les animaux. La fertilité est un enjeu intime, source de désir, d’anxiété et de projet de vie. Si un facteur infectieux jusque-là marginal se révèle significatif, cela pose des questions sur les droits reproductifs masculins.

Dans le contexte des couples, l’infertilité est souvent vécue comme une responsabilité féminine voire partagée, mais rarement entièrement masculine. Cette découverte permet de recentrer la dimension masculine dans la fertilité. Elle incite à sortir du silence ou de la culpabilité individuelle, pour aller vers une compréhension collective, biomédicale et humaine. Les conséquences démographiques ne sont pas à négliger. Si la fertilité masculine continue de décroître et si ce parasite y contribue, les politiques de santé publique devront intégrer ce facteur dans la planification, la prévention et l’éducation sanitaire.

Si Toxoplasma gondii s’avère réellement coupable de décapiter des spermatozoïdes et d’affaiblir la fertilité masculine, alors nous ne sommes peut-être qu’au début d’une prise de conscience. Cette découverte nous enseigne avant tout que la reproduction humaine ne se réduit pas à des clichés. Elle est vulnérable, écologiquement sensible et morphologiquement complexe. On ne peut pas encore affirmer que tous les hommes infectés par T. gondii deviennent infertiles. Mais on peut et doit considérer ce parasite comme un joueur nouveau et intégrer cette dimension dans notre grille de lecture de la fertilité masculine. Au fond, l’ironie est douce. Alors que l’homme moderne s’inquiète des micro-plastiques, des ondes électromagnétiques et des perturbateurs endocriniens, c’est un petit protozoaire issu d’un geste aussi banal que changer une litière qui pourrait bien faire vaciller ses convictions reproductives. Reste à savoir comment, précisément, et à quel coût.

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