Le chromosome Y en danger ?

Gwendoline Casamata 16 décembre 2024

Depuis les années 2000, une théorie en vogue dans les médias voudrait que le chromosome Y, responsable du phénotype masculin, puisse disparaître d’ici quelques millions d’années. De quoi mettre en danger la survie même de notre espèce ? A en croire les avancées scientifiques récentes, cette prédiction relève davantage du fantasme que d’une menace imminente. Explications.

Une disparition annoncée

Tout commence le 28 février 2002, lorsque John Aitken et Jennifer Graves publient un article dans la revue Nature. Ces chercheurs affirment que le chromosome Y, qui a déjà perdu environ 1 000 gènes au cours des derniers 166 millions d’années, continue de s’amenuiser. Leur équation est simple : « à ce rythme, il disparaîtra dans environ plusieurs millions d’années ». La théorie frappe fort : elle suggère que, sans chromosome Y, les hommes pourraient disparaître, mettant en péril la reproduction humaine.

Cette prédiction, construite sur des projections linéaires, se répand comme une traînée de poudre et suscite des débats enflammés dans la communauté scientifique. Le chromosome Y, avec seulement 50 gènes restants, fait pâle figure face au robuste chromosome X, qui en compte environ 1 000. De plus, son absence de recombinaison génétique, typique des chromosomes sexuels, semble le condamner à une lente dégénérescence. Mais est-ce vraiment aussi dramatique que cela en a l’air ?

Le débat scientifique s’enflamme, opposant deux camps bien tranchés : les déclinistes, convaincus que l’extinction progressive du chromosome Y est inéluctable et les rassuristes, qui estiment que le chromosome Y trouvera un moyen de s’adapter par le biais de mécanismes compensatoires qui assureraient sa survie.

Le chromosome Y, un survivant coriace

Pour comprendre l’origine de cette controverse, il faut plonger dans l’anatomie génétique. Contrairement aux autres chromosomes, qui échangent du matériel génétique par recombinaison, le Y suit une trajectoire solitaire. Au fil du temps, il a perdu une grande partie de ses gènes, passant d’environ 1 000 gènes à seulement 50 aujourd’hui. Un phénomène intrigant mais somme toute naturel, comme l’explique Jennifer Graves : « C’est typique de tous les systèmes de chromosomes sexuels. »

Mais là où Graves voit une menace, d’autres chercheurs voient une stabilité. En 2023, des scientifiques du Whitehead Institute (MIT) ont finalisé une cartographie précise du chromosome Y. Résultat : les 106 gènes encore présents sur ce chromosome suffisent à garantir la différenciation sexuelle et la production de spermatozoïdes. Les gènes essentiels du chromosome Y, notamment ceux liés à la fertilité masculine, se dupliquent pour compenser l’absence de recombinaison avec le chromosome X.

Ces gènes vitaux semblent avoir atteint un « plateau » d’évolution, résistant à toute idée d’extinction rapide. L’évolution génétique des chimpanzés et des macaques rhésus, dont les Y sont très similaires au nôtre, montre une stabilité surprenante sur des millions d’années. Thomas Lenormand, généticien au CNRS, souligne également que la compensation de dosage (un mécanisme biologique qui équilibre l’expression des gènes entre le X et le Y) joue un rôle crucial. « Ces mécanismes expliquent pourquoi la dégénérescence du Y n’est pas problématique pour les mâles », affirme-t-il.

Des prédictions qui ne tiennent pas la route

L’erreur majeure des projections de Jennifer Graves repose sur une hypothèse de taux de perte constant des gènes. Mais selon Thomas Lenormand, généticien évolutif au CNRS, la dégénérescence du Y suit un processus saccadé : la grande perte a eu lieu il y a longtemps, et le Y a maintenant atteint un plateau stable.

De récentes études montrent que même dans des scénarios extrêmes, comme la perte totale du chromosome Y chez certaines espèces animales (notamment un rat épineux au Japon), la reproduction est réalisée grâce à des mécanismes évolutifs alternatifs. Si le chromosome Y venait à disparaître dans un futur lointain, cela ne signifierait pas la fin du phénotype masculin. Les testicules, la production de spermatozoïdes, et les caractéristiques biologiques masculines dépendent de mécanismes bien plus complexes que la simple présence du Y.

Jennifer Graves elle-même envisage un scénario où un nouveau gène de détermination sexuelle pourrait émerger sur un autre chromosome, comme cela s’est produit chez certaines espèces de rats ou de reptiles. Dans un cas extrême, un autre chromosome pourrait prendre le relais pour déterminer le sexe, comme cela s’est déjà vu chez certains poissons, amphibiens ou reptiles.

Pour Thomas Lenormand, une telle transition reste hautement improbable chez les mammifères. Non seulement le gène SRY, responsable de la masculinité, devrait migrer, mais il faudrait aussi que les gènes de fertilité masculine suivent. Autant dire que les hommes peuvent dormir sur leurs deux oreilles, la disparition du Y est loin d’être imminente.

Le fantasme de la disparition du chromosome Y fait un excellent sujet de débat… et de titres accrocheurs ! Mais les données récentes montrent que ce chromosome, bien que diminué, reste résilient. La survie de l’espèce humaine n’est donc pas menacée, et le phénotype masculin a encore de beaux jours devant lui. Une preuve supplémentaire que, dans l’évolution, les choses ne se déroulent jamais comme prévu !

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