Les jeunes adeptes du libertinage racontent leurs expériences
26 juillet 2016Un vent de fraîcheur souffle sur le libertinage. Ses codes ont changé, son public s’est rajeuni, des lieux et des concepts novateurs essaiment. interstron.ru a échangé avec ses acteurs.
Une façade aveugle, un videur, une porte dérobée, une sonnette : nous voici devant l’antre de la bête, C’est Cyril, le directeur, sourire engageant et loup fixé sur le visage, qui accueille les clients à The Mask, un club libertin d’un nouveau genre ouvert il y a trois ans dans une ruelle discrète du quartier de la Bourse, à Paris. Depuis quelques années, clubs, saunas et hammams libertins se sont multipliés, tandis que soirées privées et sites internet spécialisés ont essaimé. Revenons au Mask. Se serait-on trompé ? En pénétrant dans la pièce, rien ne distingue l’établissement d’un bar « normal« , si ce n’est le masque que portent serveurs et barmaids. Et quelques préservatifs posés artistiquement sur les banquettes. La champagne attend d’être débouché dans son seau, des couples sirotent un cocktail en détaillant les arrivants, la décoration est chic et étudiée, les enceintes distillent une deep house châtiée. Cyril met à l’aise les nouveaux entrants, prend les manteaux, propose un verre, discute et fait visiter les lieux.
Derrière le bar, deux salons en enfilade plongés dans la pénombre. « Un lounge coquin », précise l’homme masqué. Une salle de bain à la propreté chirurgicale prend place au premier étage et un escalier mène au sous-sol, à l’atmosphère nettement moins feutrée. DJ, piste de danse, barre de pole dance, attaches aux murs et chambre capitonnée… « Une soirée à The Mask ressemble à une fête qui aurait dégénéré », explique Cyril. « C’est un lieu de libertinage soft et chaleureux. D’ailleurs, notre clientèle, plutôt jeune, n’est pas toujours libertine dans l’âme. Nous recevons beaucoup de personnes qui fréquentent un club pour la première fois de leur vie », raconte-t-il encore. Pour celui qui a fait ses classes dans l’hôtellerie de luxe, si l’endroit captive autant les néo-libertins, c’est parce que la pratique « est entrée dans les moeurs, Tout le monde a envie de s’encanailler. Et personne ne s’en cache ! »
Près d’un homme sur cinq a déjà « partouzé »
Car le libertinage est en plein boom. Autrefois pratique marginale ou dissimulée, il s’est démocratisé en quelques années. En octobre dernier, l’Ifop s’est intéressé, pour le compte d’un célèbre site de rencontres pour couples partageurs, à cette lame de fond. D’après l’enquête, 11 % des Français (17 % des hommes et 5 % des femmes) ont déjà fait l’expérience d’un « plan à trois ». 7 % ont fréquenté un lieu échangiste (dont 11 % des hommes), 8 % se sont adonnés au « mélangisme » (échangisme, sans pénétration) et 5 % à l’échangisme au sens strict, En 1992, seuls 2 % des Français avouaient avoir déjà échangé leurs partenaires entre couples. Et il y a quatre ans, 3 % des hommes disaient avoir pratiqué l’échangisme, contre 7 % aujourd’hui. Autres chiffres, il est arrivé à 12 % des Français (dont 18 % des hommes) de faire l’amour en présence d’une ou plusieurs personnes. Ils n’étaient que 4 % en 1970. 8 % ont déjà pris part à une orgie (15 % des hommes) et 5 % ont couché avec leur partenaire en présence d’autres couples (côte-à-côtisme). Si le libertinage se développe, analyse Arthur Vernon, écrivain et metteur en scène spécialiste de la sexualité, c’est parce que « la vision d’un couple monogame, prôné par notre société, est dépassée. Les gens ont plus conscience de leurs désirs personnels ». Pour celui qui a consacré un livre à La Vie, l’Amour, le Sexe (aux éditions Tabou), « de tous les modes de sexualité alternatifs, il y en a un qui se développe franchement c’est l’échangisme. Nous ne sommes physiologiquement pas faits pour désirer la même personne tout au long de notre existence. Et le libertinage permet que la diversification des partenaires ne soit pas un motif de rupture du couple »
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« Ma pudeur, je la place ailleurs »
Par simple curiosité, par fantasme ou initié(e) par un(e) libertin(e), comment vient-on à l’échangisme ? « Ça s’est imposé à moi assez naturellement », se souvient Sara, 35 ans, qui a connu ses « premiers plans avec deux mecs à 20 ans. Je n’allais pas en club au départ, c’étaient plutôt des soirées privées qui prenaient une tournure sexuelle. Quelques années plus tard, ça s’est structuré », raconte-t-elle. « Je n’ai jamais été gênée quand quelqu’un entrait dans la pièce alors que je faisais l’amour. L’échangisme était pour moi une évidence. Ma pudeur, je la place ailleurs : je dévoile mon corps, mais pas mes sentiments ». Avec son compagnon, qui affiche deux décennies de plus, elle se rend souvent en club. « Il m’a fait découvrir le Cap d’Agde, on s’y rend entre deux et quatre fois par an désormais ». Son homme, elle l’a d’ailleurs rencontré… en club ! « Il est entré dans l’alcôve alors que j’étais avec mon amant de l’époque. On a fait l’amour tous les trois, et il avait oublié son ticket conso. Je l’ai rattrapé, il m’a proposé de m’offrir un verre. On a fait les choses dans le désordre ! » Aujourd’hui, Sara est heureuse et amoureuse. Mais voir celui qu’on aime frayer avec d’autres femmes, cela ne suscite-t-il pas un brin de jalousie ? « Je suis infiniment jalouse », concède-t-elle, « mais tout dépend de l’attitude de la fille. Si elle m’intègre au jeu, tout va bien. Si elle cherche à l’isoler, ça me met dans une colère noire ».
Le libertinage, ou la liberté de refuser
La jalousie peut être un corolaire de l’échangisme. La contrainte, jamais. « Mon mec fréquentait des clubs avec son ex. De mon côté, l’idée de pratiquer l’échangisme ne m’avait jamais effleurée », explique Camille, 29 ans. « Il l’a suggéré à plusieurs reprises. le crois que je le sentais m’échapper, alors j’ai accepté qu’on y aille ensemble. La peur au ventre ! Dans mon esprit, un club, c’était un endroit glauque où on baise en tas. Ça m’a rassurée de constater que ce n’était pas le cas. On a fait l’amour tous les deux; jusque là, ça allait. Ensuite, il a ciblé un couple. On a commencé à se chauffer avec la femme, puis il est allé avec elle et moi avec son conjoint. Il ne me plaisait pas plus que ça physiquement, sa façon de me toucher non plus. Et puis j’ai vu cette fille sucer mon mec, je suis devenue dingue. Je ne l’ai pas supporté. On s’est séparé juste après, ça avait brisé quelque chose ». D’autres, comme Arnaud, célibataire de 31 ans, fréquentent clubs et soirées privées pour s’amuser. « Je me rends dans des saunas et des soirées où les hommes seuls sont autorisés. Ce qui n’est pas fréquent ! J’y vais pour baiser, on ne va pas se mentir. J’aime cette transgression, le fait de passer outre les interdits ». Cependant, tempère-t-il, « si je suis en couple un jour, jamais je n’amènerai ma copine à ce genre de soirées. Jen ai trop vu… Et surtout, quand j’aime, je ne partage pas ».
(Photo à la une et autres photos : Getty Images)
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