EVARS, cinq lettres et mille fantasmes
20 septembre 2025
En France, rares sont les sigles qui enflamment les plateaux télé et les réunions parents-profs au point de faire irruption dans la sphère familiale. Mais après l’APB puis Parcoursup, voici venu le temps d’EVARS (Éduquer à la Vie Affective, Relationnelle, et à la Sexualité). Un intitulé à rallonge, qui ressemble davantage à un plan quinquennal qu’à un programme scolaire, mais qui condense une ambition déjà vieille de vingt ans : offrir aux élèves, de la maternelle au lycée, une éducation structurée sur les émotions, les relations, le respect, la santé, la prévention des violences et, au collège-lycée, la sexualité. Rien de bouleversant sur le papier puisque la loi l’exige déjà depuis 2001. Mais en 2025, le ministère a décidé de ranger les vœux pieux au placard et d’imposer un programme national détaillé, assorti d’annexes, de livrets pédagogiques et de circulaires. L’ambition est de passer d’ateliers sporadiques voir ponctuels à un cadre officiel et donc, fatalement, politiquement inflammable. En à peine quelques mois, EVARS a ainsi cumulé arrêtés ministériels, validation par le Conseil supérieur de l’éducation, soutiens enthousiastes d’associations de parents (la FCPE en tête), attaques en règle des mouvements conservateurs, tribunes indignées, fact-checkings médiatiques et recours en justice. Le Conseil d’État, dernier arbitre, a clos le rideau fin juin 2025 en confirmant la légalité du dispositif. Une séquence dense, symptomatique d’un temps où l’école concentre des anxiétés sociales que les programmes scolaires, par définition nationaux, cristallisent en quelques alinéas.
L’objectif de cet article est d’expliquer ce qu’est EVARS, cartographier les polémiques sans caricature, puis vérifier ce qui est vrai, faux ou exagéré. Bref, troquer la rumeur contre l’argument, le tract contre la source, et l’indignation réflexe contre une lecture détaillée du texte.
EVARS : architecture, calendrier, contenus
Le programme EVARS est fixé par l’arrêté du 3 février 2025 et publié au Journal officiel le 5 février, après validation du Conseil supérieur de l’éducation (CSE). Il entre en application à la rentrée 2025-2026. La circulaire du 4 février 2025 en précise la mise en œuvre. Il ne s’agit donc pas d’une lubie du moment, mais d’un acte réglementaire avec l’armature juridique habituelle (codes et visas).
Le site service-public.fr rappelle que, conformément à la loi de 2001, l’éducation à la sexualité a un caractère obligatoire, avec au moins trois séances par an adaptées à l’âge des élèves. Le texte s’inscrit dans les missions générales de l’école : égalité, prévention des violences, lutte contre les discriminations, éducation à la citoyenneté et à la santé publique.
Le ministère distingue désormais deux paliers : EVAR (éduquer à la vie affective et relationnelle) en maternelle et élémentaire, et EVARS (ajout de la sexualité) au collège et au lycée. Cette gradation, affichée sur Eduscol, est centrale. La sexualité n’est pas abordée en maternelle et l’école primaire travaille les émotions, le respect de soi et d’autrui, les relations, l’égalité filles-garçons et la prévention du harcèlement. En somme, les prérequis d’une socialisation apaisée. À partir du collège, les dimensions explicitement sexuelles (corps, puberté, consentement, santé sexuelle, prévention des violences et des risques) entrent dans le périmètre, progressivement et selon l’âge.
Les thématiques décrites par le ministère et les livrets sont vastes, mais cohérentes :
- Egalité et respect, prévention du harcèlement et des violences sexistes/sexuelles.
- Construction de l’estime de soi et maîtrise des émotions.
- Médias, réseaux sociaux et exposition de l’intimité sur Internet
- Corps, puberté, orientation et identité.
- Consentement, droit de dire non et repérage des situations à risque.
- Repères juridiques (viol, majorité sexuelle, infractions), accès aux ressources d’aide, de santé et de bien-être.
- Prévention des IST.
La progressivité est rappelée par plusieurs documents officiels et par des fiches pratiques à destination des équipes pédagogiques. Le 30 janvier 2025, le CSE valide le programme : 60 votes pour, 0 contre, 7 abstentions et 6 refus de vote, selon RMC/BFMTV. Si la polémique médiatique est intense, les instances consultatives, elles, ne se déchirent pas. À l’inverse d’une vision binaire et polémique, la réalité institutionnelle est plus nuancée.
Les polémiques
Dès l’annonce, des associations familiales conservatrices et des collectifs hostiles dénoncent un texte « idéologique », « porteur de confusion », voire « intrusif ». On lit, par exemple, que le programme « impose » des contenus dès la maternelle sur des thèmes qu’ils jugent inappropriés à l’âge ou relevant exclusivement des parents. À la rentrée 2025, la présidente d’une organisation familiale médiatisée emploie les mots « idéologie du genre » et « wokisme » pour qualifier EVARS, fustigeant un supposé renversement des repères fille/garçon. Ces éléments de langage irriguent talk-shows et tribunes, contribuant à installer un climat polémique.
Les AFC (Associations Familiales Catholiques) publient des recommandations, puis un décryptage, avertissant des risques du programme, tout en justifiant leur crainte d’une sexualisation précoce et d’une mise à l’écart des parents. Leur lecture sélective de passages d’annexes nourrit la mobilisation. Des collectifs d’avocats (comme Juristes pour l’enfance) brandissent l’argument des droits fondamentaux (vie privée, rôle des parents) et saisissent la justice pour tenter d’obtenir l’annulation des textes.
Les opposants aiment convoquer l’expérience EVRAS en Belgique francophone : en 2023, la généralisation du dispositif suscite manifestations, rumeurs virales et même une série d’incendies criminels d’écoles en Wallonie. Le gouvernement belge dément alors des intox massivement relayées (non, EVRAS n’enseigne pas la « pornographie » à des enfants de 5 ans), tandis que des médias internationaux relatent le climat de crispation. L’analogie est facile, mais pas toujours pertinente. Les cadres juridiques, les contenus, la progressivité et la gouvernance diffèrent entre la France et la Belgique.
Dans ces controverses, le cycle de l’attention est connu. Un document (capture, page d’annexe ou diapositive de formation) est sorti de son contexte, propulsé sur les réseaux, puis repris par des médias d’opinion. Dans l’autre camp, institutions et associations pro-EVARS répliquent par des « fact-checks ». L’AFP, par exemple, rappelle que les contenus à caractère sexuel ne sont abordés qu’à partir du collège, l’école primaire restant centrée sur l’affectif et le relationnel. Le ministère publie des FAQ et des pages pédagogiques explicites. Mais, par nature, la correction arrive après l’indignation. Et sur X ou TikTok, l’algorithme préfère l’alerte à l’annexe.
Ce que disent le droit, la recherche et la prévention
Le 27 juin 2025, le Conseil d’État rejette les recours, confirmant la légalité de l’arrêté et de la circulaire EVARS. Aucune norme juridique invoquée n’est méconnue. En clair, l’État est dans son rôle en fixant un programme national qui met en œuvre une obligation prévue par la loi de 2001, en respectant la compétence du ministre et le cadre du code de l’éducation. Ce point ne clôt pas le débat social, mais il stabilise le cadre juridique.
Les parents sont-ils écartés ? Ce que prévoit vraiment le texte
Non, le texte officiel réaffirme la responsabilité des familles. L’éducation à la sexualité complète, sans s’y substituer, la mission éducative des parents dans les écoles publiques et privées sous contrat. Les séances se tiennent dans l’établissement, par des personnels formés, en interdisciplinarité lorsque c’est pertinent, avec des ressources d’accompagnement et des référentiels par niveau. Les associations agréées ou partenaires peuvent intervenir, mais sous la responsabilité de la direction et des équipes. Autrement dit, l’école formalise des apprentissages qu’elle doit depuis longtemps assurer, dans un cadre traçable et évaluable.
On parle de sexualité à des enfants de maternelle ? Non : EVAR ≠ EVARS
La confusion provient souvent du sigle. EVAR (maternelle-élémentaire) n’aborde pas la sexualité. Il s’agit d’affectif, de relationnel et de respect, de prévention du harcèlement, d’estime de soi et d’égalité filles-garçons. EVARS ajoute la dimension sexuelle à partir du collège, avec progressivité. Les documents publics le répètent à l’envi, sans empêcher le copier-coller de rumeurs ni les montages anxiogènes.
Des contenus crus et inadaptés ? La progressivité, encore et toujours
Le ministère comme l’AFP soulignent la progressivité. On ne parle pas du même contenu en 6e et en Terminale, pas plus qu’on n’enseigne la dérivation au CP. Les objectifs sont déclinés par âge et les représentations « crues » circulant dans certains tracts ne correspondent ni aux annexes, ni aux livrets.
La prévention, un objectif de santé publique
EVARS s’inscrit dans une logique d’école promotrice de santé : réduire les violences sexistes et sexuelles, prévenir le harcèlement, développer les compétences psychosociales (estime de soi, respect de l’autre), outiller les jeunes face aux médias et réseaux sociaux, retarder les prises de risques, faciliter le repérage et l’orientation en cas de danger. La littérature internationale abonde sur l’impact des programmes d’éducation relationnelle et sexuelle fondés sur des preuves. A condition d’être adaptés à l’âge et bien mis en œuvre, ils améliorent les connaissances, changent certaines attitudes, réduisent certains risques (grossesses non désirées, IST), et favorisent le recours à l’aide en cas de violences. Le cadrage français met surtout l’accent sur le respect et le consentement, thème porté par le ministère et par les fédérations de parents d’élèves favorables au programme.
Le précédent belge, leçons d’une controverse importée
Le cas EVRAS en Belgique montre un écosystème de rumeurs capable de déborder l’espace scolaire. Cette crise a aussi produit l’effet inverse de celui recherché par les opposants. Les autorités ont renforcé la communication et la sécurisation, les médias ont fact-checké les intox, et les acteurs de terrain ont documenté l’utilité d’un cadre éducatif face à la pornographie en ligne, au cyberharcèlement et aux violences. La comparaison n’est pas un calque. Les textes, instances et traditions administratives diffèrent. Le Conseil d’État français a évalué EVARS au regard du droit français. Reste que la Belgique rappelle une vérité simple : le vide éducatif n’existe pas. Là où l’école ne cadre pas, Internet se charge d’enseigner sans pédagogie, sans progressivité et sans consentement.
On retire la sexualité de la sphère privée des familles ? Le rôle partagé
Les textes gouvernementaux insistent : EVARS n’exproprie pas les familles. Il complète ce que les parents transmettent (valeurs, intimité, convictions) par un socle commun de connaissances, repères juridiques et compétences psychosociales. De même que l’école n’enlève pas aux familles l’apprentissage de la politesse en enseignant l’EMC (éducation morale et civique), elle ne retire pas aux parents l’éducation affective en encadrant EVAR/EVARS. La position est juridiquement consolidée par la décision du Conseil d’État, le programme étant conforme à la loi et proportionné à ses objectifs.
Finalement, un programme national, c’est d’abord une boussole. Dans le cas d’EVARS, la boussole parle de respect, de consentement, de prévention des violences, d’égalité, de compétences psychosociales et de santé. Son enseignement est progressif : pas de sexualité en maternelle, des contenus gradués au collège et au lycée. Elle crée un langage commun pour les enseignants, les personnels de santé scolaire, les CPE, les associations agréées tout en précisant qui fait quoi, quand et avec quelles ressources. Elle rend auditable ce qui se faisait déjà de manière hétérogène. On peut désormais planifier, former, évaluer.
Quant aux polémiques ? Elles disent autre chose. L’école est un miroir de nos angoisses sociales. On voudrait qu’elle protège sans nommer, qu’elle informe sans heurter et qu’elle prévienne sans prévenir. Or, prévenir, c’est nommer correctement à l’âge approprié, avec des mots précis et dans un cadre clair. Et si l’on craint que l’école en fasse trop, rappelons-nous que ne rien faire n’est pas neutre. À l’ère des écrans, l’initiation sauvage existe, algorithmique et lucrative. L’alternative à EVARS n’est pas une enfance préservée des questions, c’est une enfance livrée aux réponses des autres.
Il restera toujours des débats : sur la formation des équipes, la place des parents, la qualité des supports, le temps dédié et la pertinence des outils. Et c’est tant mieux ! Un programme qui ne suscite aucune question est un programme que personne ne lit.
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