Sommes-nous tous bisexuels ?

Flore Cherry 15 avril 2016

« À voile ou à vapeur ? » Les deux, mon capitaine ! Et si, à l’instar de certains animaux ou de certaines civilisations humaines, nous étions naturellement attirés par les deux sexes ? Entre effet de mode et nature profonde, interstron.ru vous parle d’une orientation sexuelle pas si bizarre…

D’après une étude américaine fraîchement sortie en janvier 2016 (1), 5,5 % de la population féminine et 2 % de la population masculine se considèrent de nos jours comme bisexuelle. Le plus intéressant ? Cette étude révèle que plus les générations sont jeunes, plus elles se reconnaissent en tant que bisexuelles. Chez les hommes par exemple, 2,5 % des 18-24 ans affirment être bisexuels contre seulement 1,3 % des 35-44 ans. Entre effet de mode et/ou retour à notre état naturel, c’est quoi cet engouement pour la bisexualité ?

La bi(sexualité) ne fait pas le moine !

Bien que la bisexualité ait été reconnue en 1728 par le conseil de l’Europe au même titre que l’hétérosexualité et l’homosexualité, elle demeure encore une orientation sexuelle qui dérange.

D’après Vincent Strobel, président de l’association Bi’cause : « Elle reste encore très marginalisée. Je pense qu’elle bouscule un peu les schémas classiques : si une ouverture se fait au niveau législatif vers les relations entre personnes de même sexe, beaucoup de personnes, en partie par méconnaissance, pensent que la bisexualité n’existe pas ou qu’elle n’est qu’un passage vers l’homosexualité. ».

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Les raisons ? Des préjugés latents sur une orientation qui semble volage, indécise mais surtout une définition encore floue de cette orientation. Par exemple, une personne qui aurait une attirance sexuelle pour les deux sexes mais avec une dominante homo ou hétéro se retrouvera plus dans une de ces deux dernières identités. En France, près de 13 % des personnes ont eu des relations sexuelles avec un partenaire du même sexe (2), mais tous sont loin de se considérer comme bi ou homo. C’est le cas d’Olivier, 51 ans, qui assume pleinement cette ambivalence : « Bien que je puisse coucher avec les deux sexes, je ne me considère pas comme bisexuel, tout simplement parce que la recherche va être différente. Pour l’homme, je vais surtout être centré sur la verge, le cul, les couilles… Mais surtout sur la verge, j’adore sucer ! Chez les femmes, je vais plutôt considérer l’ensemble : la séduction, le regard, les rires, les échanges… J’aime les parties génitales, mais au même rang que le reste. Il n’y a pas vraiment de jeu de séduction avec les garçons, c’est purement sexuel, phallocentré. Par exemple, je ne me vois pas inviter un mec à dîner alors qu’une femme, si ! ».
Une subjectivité aussi présente dans la définition que nous donne Vincent Strobel.

Ce n’est pas simplement la pratique qui définit la bisexualité, mais bien aussi la revendication de celle-ci. En ce sens, une personne vierge ou n’ayant fait l’amour qu’avec l’un des deux sexes peut tout à fait se définir comme bisexuelle. Et à l’inverse, une personne ayant eu des relations sexuelles avec tous les genres peut ne pas se retrouver dans la définition de la bisexualité.

C’est Karl Mengel, dans son essai Pour et contre la bisexualité (éd. La Musardine), qui résume le mieux cette ambiguïté : « D’une part, on ne sait pas vraiment qui sont les bisexuels et, d’autre part, les bisexuels ne savent pas vraiment qui ils sont (…). ».

Considérant donc que la notion de bisexualité est subjective, culturelle et identitaire, il est aussi intéressant de considérer, dans la suite de l’article, la notion de degré de fluidité sexuelle. C’est-à-dire, la facilité (ou non) d’un individu à adapter son orientation sexuelle en fonction du contexte, de ses rencontres et de ses propres expériences.

La femme plus fluide sexuellement que l’homme ?

Bisexuelle

Selon le même sondage américain, deux fois plus de femmes que d’hommes se considèrent actuellement bi. Pourquoi cette orientation et/ou identité sexuelle serait-elle mieux assumée par ces dames ?

Pour Pierre des Esseintes dans Osez la bisexualité (éd. La Musardine) : « Un trait particulier de la psychologie féminine peut intervenir dans les comportements bisexuels : faire l’amour à une femme permettrait d’éviter tout rapport de concurrence. Pour certaines femmes, la beauté féminine constitue un motif de compétition, voire même de jalousie. Faire l’amour à une autre femme, n’est-ce pas un moyen d’éliminer cette concurrence en s’appropriant la beauté de l’autre ? ». De même, l’homosexualité semble plus simple à aborder pour une femme, car elle ne modifie pas son modèle actif/passif. Le passage à la passivité (anale surtout) semble beaucoup plus difficile à franchir pour un homme par peur de perdre sa virilité.

Pour Peggy Sastre, journaliste scientifique et féministe, la bisexualité féminine jouerait même un rôle dans la sélection naturelle. « Dans la recherche actuelle, il y a une hypothèse que je trouve très intéressante : la fluidité sexuelle des femmes leur donnerait un avantage dans des environnements où leur sexualité a un grand risque d’être imposée. La sexualité féminine aurait à voir avec tout un module réactif, hérité des temps où elles n’avaient pas beaucoup de possibilités d’éviter un rapport non consenti et où le mieux (voire le moins pire) était encore de se protéger contre des blessures et des douleurs. ».

Enfin, la revendication de bisexualité apparaît comme le must d’une femme dans le milieu libertin, façon de jouer les intermédiaires entre les couples et d’exciter les hommes. Mais quelle est vraiment l’influence de notre culture sur cette orientation sexuelle ?

La part d’inné et d’acquis dans notre fluidité sexuelle

Au début du XXe siècle, Freud démontrait le caractère psychiquement inné de notre attirance indifférencié au genre dans Trois Essais sur la théorie sexuelle. C’est alors en grandissant que l’orientation sexuelle se préciserait, selon le père de la psychanalyse : « La psychanalyse a une base commune avec la biologie en ce qu’elle présuppose une bisexualité originelle chez l’être humain. ».

WC

Cependant, ses études ont été par la suite de nombreuses fois remises en questions et tombent aujourd’hui en désuétude, notamment parce que la bisexualité renferme une forte part de construction sociale.

Pour David Simard, philosophe et psycho-sexologue : « Je ne considère pas qu’il y ait une orientation sexuelle innée ou naturelle, mais que celle-ci est une production sociale et culturelle. L’être humain à la naissance n’a pas d’orientation sexuelle préinscrite, tout est en théorie ouvert, mais la société, l’environnement familial, le parcours de vie modèlent et orientent les enfants dans des schémas sociaux qui les conduisent à acquérir une orientation sexuelle et à former leurs désirs d’une certaine façon. ».

Depuis les années 2000, les coming-out bi fleurissent chez les stars outre-Atlantique (Lady Gaga, Cara Delevingne, Drew Barrymore, Miley Cirus, etc.) comme une revendication dans l’air du temps !

I kissed a girl and I liked it,” assumait Katy Perry. Et si cela révélait simplement l’arrivée d’une nouvelle ère sexuelle avec des frontières à redessiner ?

(1) National Health Statistics Reports, 7 janvier 2016, « Sexual Behavior, Sexual Attraction, and Sexual Orientation Among Adults Aged 18-44 in the United States ».
(2) Sondage pour Marianne, 2014, « Les Français, la politique et le sexe ».

(Photo à la une et autres photos : Getty Images)

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