La génération 2000 redécouvre le Sida

Gwendoline Casamata 9 décembre 2025

Entre 2014 et 2023, le nombre de diagnostics du VIH chez les jeunes de 15 à 24 ans a augmenté de 41 %, selon Santé publique France. Dans le même temps, chez les 25–49 ans (ceux qu’on avait l’habitude de regarder en priorité), le nombre de diagnostics recule d’environ 15 % sur la même période. Alors que leurs aînés semblent enfin récolter les fruits de décennies de prévention, les plus jeunes se révèlent être le nouveau front de l’épidémie. Et si cette génération se retrouve davantage exposée, c’est parce que les dynamiques intimes se sont métamorphosées. Les sexualités se déploient avec plus de fluidité, les applis accélèrent les rencontres, les déplacements se multiplient et l’idée même du plaisir s’est libérée des peurs héritées des années sida. Le VIH se faufile dans l’intimité de ces jeunes nées avec Internet alors même que les outils de prévention n’ont jamais été aussi nombreux : préservatifs gratuits en pharmacie, PrEP, autotests, CeGIDD, dépistage sans ordonnance, campagnes en ligne… Ce décalage entre outils de prévention modernes, information accessible et propagation réelle de l’infection interroge. Alors comment le virus parvient-il à toucher ce qui aurait dû être la tranche la mieux armée pour l’éviter ? On fait le point.

La jeunesse rattrapée par l’épidémie

L’augmentation de 41 % ne sort pas de nulle part. Elle provient d’une analyse fine des données du Système national de données de santé et de la déclaration obligatoire du VIH, compilées par Santé publique France pour la période 2014–2023. En 2014, 641 jeunes de 15–24 ans découvraient leur séropositivité et en 2023, ils sont 906.  Dans le même temps, chez les 25–49 ans, les découvertes de séropositivité passent de 3 917 à 3 347, soit une baisse d’environ 15 %. L’épidémie, globalement stable après la hausse post-Covid, s’est donc déplacée vers le bas de la pyramide des âges. En 2023, ils sont majoritairement des hommes, souvent peu ou pas mineurs et, pour une large part, nés en Afrique subsaharienne ou en France. On retrouve notamment :

  • des jeunes hommes ayant des relations sexuelles avec des hommes, identifiés comme particulièrement vulnérables.
  • des jeunes récemment arrivés en France, pour lesquels la précarité, l’accès au système de soins et les barrières linguistiques ou administratives compliquent l’accès à la prévention et au dépistage.
  • des jeunes femmes, cis ou trans, souvent moins visibles dans le récit médiatique, mais fortement concernées par les infections sexuellement transmissibles (IST) et par des diagnostics parfois tardifs.

Autre élément préoccupant : la part des diagnostics tardifs reste élevée (autour de 40 % tous âges confondus), y compris chez les plus jeunes. On continue à découvrir des infections plusieurs années après la contamination, à un stade où le système immunitaire est déjà bien entamé. Il est tentant de se rassurer en expliquant cette hausse par un meilleur dépistage. On teste plus, donc on détecte plus. E ce n’est pas complètement faux. Mais ce n’est pas suffisant pour éteindre l’alarme. Chez les 15–24 ans, les taux de personnes testées pour le VIH, la syphilis, le gonocoque ou les chlamydiae ont fortement augmenté depuis 2014 (de +44 % à +593 % selon l’infection et le type de test). En 2023, près de 910 000 jeunes de 15 à 24 ans ont été testés au moins une fois pour le VIH. Mais cette intensification du dépistage ne suffit pas à expliquer la progression des diagnostics VIH. Si la simple augmentation des tests était en cause, on s’attendrait à voir les taux grimper dans toutes les tranches d’âge. Or les 25–49 ans, eux, voient leurs diagnostics diminuer. Le problème n’est donc pas dans les labos… mais dans les lits.

Préservatifs en berne et des idées reçues en hausse

Alors comment expliquer cette augmentation ? Parmi les principaux suspects, il y a le préservatif. Depuis quelques années, les études se succèdent pour documenter son recul discret mais régulier chez les adolescents et jeunes adultes. Les enquêtes internationales montrent une baisse de l’usage du préservatif lors des premiers rapports sexuels chez les jeunes de 15 ans, entre 2014 et 2022. En France, l’enquête “Contexte des sexualités” note également une diminution de l’usage du préservatif lors des premiers rapports ou des relations avec un nouveau partenaire. Du côté des jeunes de 15-24 ans, seuls 29 % déclarent utiliser systématiquement un préservatif lors de leurs relations. Un chiffre en baisse par rapport à 2022. Finalement, on parle beaucoup de consentement ou de plaisir, mais nettement moins de latex.

L’autre élément qui justifie cette hausse est la désinformation. Les enquêtes menées auprès des jeunes montrent un niveau d’idées fausses sur le VIH qui laisse songeur. En 2025, 40 % des jeunes pensent par exemple qu’il existe un vaccin contre le VIH, ce qui est factuellement faux. Dans une autre étude, une majorité de Français, surtout plus âgés, continue de croire que le préservatif est le seul outil de prévention, méconnaissant la PrEP, le traitement post-exposition ou le principe “Indétectable = Intransmissible”. Les jeunes sont un peu mieux informés sur la diversité des outils, mais restent fortement exposés aux fausses informations circulant sur les réseaux sociaux.

Et dans cette hausse des diagnostics, tout le monde ne porte pas la même charge de risque. Les analyses de Santé publique France montrent que les jeunes hommes ayant des relations sexuelles avec des hommes sont particulièrement exposés, notamment ceux de 18-21 ans.  S’y ajoutent des jeunes en situation de précarité, plus souvent éloignés des structures de soin, et des jeunes migrants, pour qui la question du titre de séjour, du logement ou de l’emploi passe logiquement avant la santé sexuelle. Les jeunes femmes et personnes trans, sont également plus exposées à la violence, aux rapports non ou mal protégés et à des rapports de pouvoir qui limitent la négociation du préservatif. Le VIH n’est donc pas seulement un virus, mais un révélateur social. Il se glisse dans les interstices des inégalités, là où le discours de la responsabilité individuelle est un peu court pour décrire la réalité.

Réinventer la prévention

Face à ces chiffres, la tentation est grande de dégainer les vieux réflexes en recyclant les affiches des années 1990 et le slogan “Un préservatif ou rien”, tout en espérant que la nostalgie fera le reste. Mais aujourd’hui on dispose de bien plus d’outils qu’il y a trente ans. La PrEP est un traitement préventif extrêmement efficace chez les personnes séronégatives exposées au virus. Le TPE (traitement post-exposition), à prendre dans les 48 heures après un rapport à risque limite l’infection. Les dépistages gratuits et anonymes se sont démocratisés via les CeGIDD, les autotests, les sérologies sans ordonnance et sans avance de frais. Les traitements antirétroviraux permettent, chez les personnes séropositives, d’atteindre une charge virale indétectable et donc, de ne plus transmettre le virus. Le problème n’est donc pas le manque d’outils.

Et les experts en prévention le répètent. Pour toucher les jeunes, il faut aller sur leurs terrains de jeu (réseaux sociaux, plateformes vidéo, festivals, clubs et lieux de sociabilité). Cela suppose des contenus pensés pour eux comme des messages qui parlent de plaisir, de désir et de relations, pas uniquement de risque et de bonne conduite. Il faut également des relais incarnés : influenceurs, artistes, associations et professionnels de santé à l’aise avec les codes numériques. Dans plusieurs campagnes récentes, associations et institutions ont d’ailleurs commencé à tester ces approches avec des comptes Insta ou TikTok dédiés, des collaborations avec des créateurs de contenu et des formats de questions/réponses en live.

Ce qui se joue autour du VIH chez les jeunes est moins une histoire de déresponsabilisation qu’un réajustement entre les discours et les réalités. On ne vit pas sa sexualité en 2025 comme en 1995. Les parcours identitaires sont plus fluides, les partenaires se rencontrent en ligne et la pornographie structure une partie des imaginaires. Les discours masculinistes et conservateurs brouillent également le message sur le consentement et la contraception. Parler de VIH à cette génération, c’est donc accepter de parler aussi de masculinité, de violences, de santé mentale, de précarité, de racisme, de honte, de désir de liberté et de peur de l’exclusion.

Finalement, le thermomètre statistique ne dit pas tout, mais il alerte sur un point précis. La prévention, telle qu’elle est conçue aujourd’hui, n’est pas adaptée à cette génération-là. La bonne nouvelle, c’est qu’on sait déjà ce qui fonctionne : dépistage régulier, accès facilité aux outils (PrEP, TPE, préservatifs gratuits), information claire et nuancée, campagnes ciblées pour les jeunes et les publics précaires. Reste à le faire avec un langage qui n’infantilise pas, ne moralise pas, n’invisibilise pas les sexualités minoritaires et qui n’oublie pas que la sexualité reste d’abord une histoire de plaisir, de rencontres et d’explorations. Au fond, la hausse des diagnostics chez les jeunes n’est pas la preuve qu’ils sont plus irresponsables que leurs aînés. C’est surtout le rappel qu’on ne peut pas se contenter d’actualiser les chiffres sans mettre à jour les messages.

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