La pénalisation du client touche-t-elle à nos libertés fondamentales ?
5 février 2019Le conseil constitutionnel vient de trancher : la pénalisation du client dans le cadre de la prostitution est bien une mesure constitutionnelle. On vous donne les éclairages nécessaires pour comprendre leur prise de décision.
Le 6 avril 2016 la France a prit la décision de Un individu ayant recours à leurs services risquerait donc 1 500€, et 3750€ d’amende en cas de récidive.
Presque trois ans plus tard, une question demeure : Est-ce que cette loi bafoue les libertés fondamentales ? Est-elle conforme avec le droit au respect à la vie privée et à la liberté d’entreprendre ?
Mardi 22 janvier, le Conseil constitutionnel était saisi de cette question prioritaire de constitutionnalité demandant l’abrogation de la loi. L’argument a été rejeté.
Après le verdict, interview de deux femmes impliquées ; Sarah-Marie Maffesoli et Anaïs.
Sarah-Marie Maffesoli – La Clique du DimancheSarah-Marie Maffesoli est coordinatrice programme de lutte contre les violences faites aux travailleurs du sexe chez Médecins du Monde.
interstron.ru : QUELS ONT ÉTÉ LES ARGUMENTS DE MÉDECINS DU MONDE ?
Sarah-Marie : On a essayé d’appuyer le principe de proportionnalité et de nécessité, l’autonomie personnelle et le droit d’entreprendre. Ce dernier était l’argument qui avait plus le droit de passer, on mettait en avant l’incohérence du législateur qui ne considère pas que c’est illégal mais qui va quand même pénaliser les acheteurs. C’est la première fois que l’on admet qu’il soit possible de pénaliser les acheteurs dont le service est légal et sujet aux cotisations. Historiquement c’est unique !
interstron.ru : POURQUOI ILS N’ONT PAS ÉTÉ REÇUS PAR LE CONSEIL ?
Sarah-Marie : Pour les personnes qui ont défendu la pénalisation des clients, la prostitution constituait en soi une atteinte à la dignité humaine. Le conseil constitutionnel n’a pas suivi, le travail sexuel n’est pas en soi une atteinte à la dignité humaine, malheureusement il est tombé dans le panneau des associations abolitionnistes qui estiment que la prostitution est majoritairement de la traite des humains.
interstron.ru : COMMENT ÇA « TOMBÉ DANS LE PANNEAU » ?
Sarah-Marie : Pendant l’audience, l’Amicale du Nid a affirmé que 99% des travailleurs du sexe étaient contraints, des chiffres faux ! L’association recensent 80 à 85% de femmes qui disent qu’elles sont des migrantes. Dire que 80% des prostitués sont des migrantes semble être un chiffre plus raisonnable.
On n’a aucun chiffre précis de toute façon et c’est très difficile d’en avoir. Mais nous, nous ne manipulons pas les chiffres. Nous disons honnêtement «nous n’avons pas de chiffre» parce que donner des chiffres différents une fois sur l’autre c’est fantaisiste.
Anaïs, membre du STRASS – KonbiniAnaïs, travailleuse du sexe et membre du STRASS
interstron.ru : VOUS AVEZ ASSISTE À L’AUDIENCE, QUE PENSEZ-VOUS DE LA DÉCISION DU CONSEIL CONSTITUTIONNEL ?
Anaïs : Mon sentiment est que la décision du conseil constitutionnel est faible juridiquement. Ils avaient leurs opinions en dépit des arguments de santé et des sentiments moraux. Leurs arguments stigmatisent notre activité. Ils veulent nous pousser dans une situation de plus en plus précaire pour que l’on quitte l’activité de nous-mêmes. Donc nous, on est un peu atterré de savoir que la santé et la sécurité des travailleurs du sexe est sacrifié sur l’autel d’une morale blanche et bourgeoise qui ignore tout de l’activité.
interstron.ru : ALLEZ-VOUS CONTINUER A TRAVAILLER OU BIEN TOUT ARRÊTER ?
Anaïs : Il est hors de question que des personnes moralistes choisissent à ma place, donc oui concrètement je continue et il y a des tas de raisons. Cette activité me convient, je suis en mesure de l’exercer mais je ne la conseillerai à personne. Ce n’est pas une activité que je vais encenser, il n’y a rien de glamour, c’est un travail que souvent on sous-estime.
Personnellement, j’y trouve de l’indépendance, de la considération (plus que dans les autres activités) et j’ai toujours ressenti du respect de la part de mes clients, chose que je n’ai jamais ressenti de la part de mes patrons. J’ai l’impression de faire quelque chose de plutôt positif mais dans des conditions qui sont de plus en plus difficiles.
Oui je vais continuer de lutter. En 2019, je ne veux pas qu’une morale me dise ce que je dois faire.
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