Quand l’amour défie les coutures, l’étrange histoire de Meirivone et Marcelo…
21 septembre 2025
Dans un monde où l’amour se décline en mille formes, une femme brésilienne du nom de Meirivone Rocha Moraes élève la bizarrerie amoureuse au rang d’art de vivre familial. À 37 ans, elle ne partage pas sa vie avec un être de chair et de sang mais avec une poupée de chiffon, prénommée Marcelo. Leur mariage a lieu en décembre 2021 à Rio Paranaíba (Minas Gerais) avec robe, convives (250 invités), alliances et gâteau. Tout ce que l’institution conjugale a de plus solennel en compagnie d’un mari bonhomme de tissu, moustachu et soigneusement cravaté. Depuis, le feuilleton cousu-main s’écrit à la cadence des réseaux sociaux. En mai 2022, le couple accueille leur premier enfant, Marcelinho. En 2023, la seconde grossesse est annoncée en fanfare (gender reveal comprise), avant l’arrivée de jumelles, Marcela et Emília, en décembre. Sur TikTok et Instagram, Meirivone raconte son quotidien : les tâches ménagères, les siestes synchronisées, les lessives, l’éducation des enfants… et les péripéties conjugales d’un couple pas tout à fait comme les autres. Les sceptiques lèvent un sourcil et les moqueurs, une bordée d’émoticônes. Mais pour répondre à ses détracteurs et à tous ceux qui doutent de l’intérêt du partenaire, la brésilienne a une formule toute trouvée. Dans un entretien accordé au Times of India et relayé par d’autres médias, elle affirme que Marcelo est “mieux que dix hommes”. On pourrait alors sourire et ranger ce récit au rayon des curiosités contemporaines, juste à côté des concours de sosies d’Elvis ou des clubs de passionnés qui épousent leur voiture, mais l’affaire est plus complexe qu’elle n’y paraît. Cette comédie familiale devient, au fil des mois, un miroir grossissant de la fabrique contemporaine du buzz : performance intime, narration feuilletonnée et économie de l’attention. Alors, est-ce qu’aimer consiste, tout simplement, à inventer la forme de bonheur qui nous convient ? On fait le point.
Chronologie d’une romance de chiffon
L’histoire naît pendant la pandémie. Danseuse de forró et privée de partenaire, Meirivone demande à sa mère, couturière, de fabriquer un cavalier : Marcelo. Les directs Facebook et TikTok emballent le voisinage comme les médias locaux. Et bientôt l’internet entier, se prend au jeu. Le 18 décembre 2021, le mariage en bonne et due forme se conclue par une lune de miel à Rio, largement documentée sur les réseaux sociaux. La presse brésilienne précise que la mise en scène sert à attirer l’attention d’émissions susceptibles de l’aider à obtenir un logement. Son audace amuse, mais n’est-ce pas là un geste d’autrice ? Faire de sa propre existence une telenovela, avec ses codes, son suspense et son public.
Au printemps suivant, la romance se double d’une maternité. Les images au décor d’hôpital soigneusement reconstitué affluent : brancard, blouse et soignants font le tour des tabloïds. Et la presse brésilienne oscille entre perplexité et ironie. La vraie question n’est pas tant comment naît un bébé de chiffon que pour qui on raconte sa venue au monde. Et la réponse s’écrit en chiffres. Les vidéos accumulent des centaines de milliers de vues, et le compte TikTok de Meirivone dépasse le demi-million d’abonnés, relève CNN Brasil en 2023. Finalement, le fils de chiffon est d’abord un enfant de la viralité.
Et comme tout bon feuilleton, il faut une crise. Une tempête conjugale survient fin 2022 lorsque Meirivone accuse Marcelo de trahison. Un ami lui aurait signalé l’avoir vu entrer dans un motel avec une autre femme. La relation serait « suspendue à un fil », rapportent des médias internationaux, farcis d’images rappelant volontairement les soap operas. Larmes, menaces, réconciliations dramatiques, tout est excessif voir improbable. Et c’est précisément l’idée. La dramaturge a trouvé son pivot narratif : un antagoniste… en coton.
En avril 2023, CNN Brasil annonce une nouvelle grossesse. Plusieurs médias lifestyle (Portugal, Nouvelle-Zélande, Inde) reprennent l’information, images et prénoms à l’appui. Et lorsqu’on lui demande ce qu’elle trouve à ce mari d’étoffe, Meirivone répond, implacable : « Il en vaut dix. » Pourquoi ? Parce qu’il “accepte tout ce que je dis”. La formule amuse, irrite ou fait soupirer, mais elle dit l’essentiel : Marcelo n’est pas seulement une poupée. Il est un miroir, une scène, un espace où l’imaginaire féminin se déploie librement et sans résistance. Et ce couple improbable est avant tout un dispositif, un théâtre intime devenu spectacle public.
Performance, attention et parasocialité
Meirivone met en scène sa propre vie. Dans un entretien à la presse locale, elle se décrit comme une artiste, parlant de son « théâtre » qui fait le tour du monde. Et le mot n’est pas choisi au hasard. Il déplace l’histoire du « mari de chiffon » du terrain de la pathologie vers celui, plus prestigieux, de l’art. Ce n’est plus une excentricité, mais un média-roman en bonne et due forme avec ses personnages récurrents et ses rebondissements saisonniers. Bref, une dramaturgie domestique calibrée pour l’ère des stories.
Sur TikTok, les récits qui fonctionnent sont ceux qui se consomment comme des feuilletons. La recherche académique le confirme : la relation parasociale, ce lien à sens unique que nous développons avec les figures médiatiques, s’épanouit particulièrement dans ces formats où la proximité performée fait croire à une intimité réelle. Une étude récente montre que ces liens parasociaux, combinés aux interactions sociales classiques, jouent un rôle non négligeable dans le bien-être (ou le mal-être) des utilisateurs. Les lives et stories, en particulier, épaississent cette illusion de familiarité qui fidélise l’audience. Et les algorithmes, eux, ne demandent qu’à applaudir.
Mais pourquoi prêter une intériorité à un bout de chiffon ? La psychologie sociale éclaire ce réflexe ordinaire. Face à la solitude ou à l’incertitude, l’homme humanise volontiers l’animal, la machine ou l’objet, afin de rendre le monde plus prévisible. Marcelo, dans ce cadre, n’est pas une aberration : il est fabriqué, psychologiquement autant que textilement, pour ne jamais décevoir.
Sur les réseaux sociaux, la ligne est poreuse entre interaction sociale et parasociale. Les spectateurs ont le sentiment de connaître Meirivone, d’avoir vu grandir Marcelinho et d’attendre l’arrivée des jumelles. Les relations parasociales ne sont pas forcément pathologiques, elles peuvent même fournir réconfort et sentiment de communauté. Le problème n’est pas dans le lien, mais dans son instrumentalisation par les logiques de plateforme. Sous cet angle, l’histoire de Meirivone devient un cas d’école : elle raconte, le public suit, la presse relaie et le cycle recommence.
Et le recours à la mise en spectacle pour susciter de l’aide n’est pas naïf, mais stratégique.
Les premiers articles brésiliens rappellent un contexte matériel très clair. C’est une mère de famille aux revenus modestes et au logement précaire. Derrière l’étrangeté apparente se cache une économie domestique qui cherche à convertir la visibilité en ressources concrètes.
Amour, fictions et frontières du réel
À intervalles réguliers, la presse range l’histoire de Meirivone dans le tiroir de l’objectophilie, ce rapport amoureux à des objets. Reste qu’aucune étude ne permet à distance ou via médias sociaux, d’étiqueter une personne. Et, surtout, la brésilienne revendique sa création comme théâtre, non comme diagnostic. Le roman de Marcelo appartient donc au champ de la performance bien plus qu’à celui de la clinique et le mari de chiffon sert à tenir le réel à bonne distance pour mieux le travailler.
Les réseaux sociaux et les tabloïds adorent ce qui heurte le sens commun tout en restant lisible en trois secondes. Le mari de chiffon coche toutes les cases : images frappantes, storytelling simple et escalade d’événements (mariage, naissance, trahison, jumeaux). C’est l’un des enseignements de l’ère TikTok, plus un récit circule, plus il s’auto-valide par échos, qu’ils soient journalistiques, lifestyle ou purement viral. Il revient aux médias de hiérarchiser les sources et au lectorat de garder son esprit critique.
Qu’on adhère ou non, la série Meirivone-Marcelo parle de choses très ordinaires : faire le ménage, partager les tâches, élever des enfants (de chiffon) et compter les dépenses. Les interviews récurrentes insistent sur la charge économique d’une famille. C’est d’ailleurs l’un des ressorts de l’adhésion du public : reconnaître dans l’extraordinaire une part de banalité et s’y attacher.
Entre parodie et confession, il serait simple de tout réduire au canular. Mais l’intérêt du cas tient à cet entre-deux d’une parodie assumée des routines conjugales et parentales, jouée au premier degré, comme un miroir déformant des attentes du public. Sur le fil, Meirivone s’approprie codes et clichés, invente les hauts et les bas d’un couple comme les autres, jusqu’au stéréotype d’un mari infidèle réduit à dormir sur le canapé. Le génie consiste à tenir la note : poster, commenter, relancer la fiction, intégrer le feedback et embrayer sur un nouvel arc.
Finalement, on rit volontiers du mari de coton, on hausse les épaules devant la presse qui s’en empare et on soupire sur une époque qui semble fabriquer des feuilletons à partir de presque rien. Mais derrière le sourire, cette histoire dit beaucoup de nous. Elle raconte d’abord notre besoin universel d’apprivoiser la solitude en prêtant une âme à ce qui n’en a pas. L’anthropomorphisme n’est pas une extravagance, c’est un mécanisme de survie, un art de combler l’absence par l’invention. Cette histoire met également en évidence la puissance des plateformes, qui transforment un récit domestique en saga mondiale, à coups de vues, de commentaires et de lives, tout en entretenant l’illusion d’une intimité partagée. Faut-il y croire ? La question est mal posée car le propre d’une fiction performée n’est pas d’être « vraie », mais d’être efficace. Celle-ci fonctionne à merveille en condensant nos clichés (le mari idéal, la famille parfaite), dramatisant nos tracas (loyer, jalousie, ménage), tout en tendant un miroir, dans lequel on devine nos propres quêtes de tendresse et de stabilité. Un chiffon n’est pas un homme, certes ; mais une femme peut, en cousant son idéal, fabriquer une consolation, et la partager. Et peut-être que l’amour, avant d’être une promesse, est avant tout un artisanat.
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