Quand la sociologie fait dans le porno
24 avril 2018« Sociorama », la nouvelle collection de Casterman qui mélange bande dessinée et sociologie, s’intéresse au hard. Résultat : La Fabrique pornographie, album où le trait incisif et drôle de Lisa Mandel retranscrit le travail de Mathieu Trachman. L’objectif du chercheur ? Faire sortir le porno du pur fantasme.
Sociorama, une collection jouissive
La bande dessinée ne cessera jamais d’étonner ! La diversité des concepts, des formes et thématiques fait que tout un chacun est en mesure d’y trouver son bonheur. Avec l’arrivée de la collection Sociorama chez Casterman, né d’un désir de collaboration entre auteurs de bande dessinée et sociologues, tout public peut désormais s’initier à la sociologie sans avoir des connaissances approfondies. A travers une approche ludique d’enquêtes sociologiques, les bandes dessinées présent des milieux divers et variés: les rédactions télévisées, les séductions de rue, les coulisses des chantiers.
Au programme? de l’humour à tout va, mais aussi du sexe à gogo ! Voyons, de plus près…
La fabrique pornographique, fiction sur le monde du X
Résumé: Howard, jeune vigile de centre commercial et passionné de porno amateur, croise son actrice de x fétiche, Paméla la star du genre à l’occasion du salon de l’érotisme. Il profite de cette rencontre pour se faire inviter sur un tournage et faire ses premiers pas comme acteur. En suivant le parcours de ce jeune «acteur», on découvre les ficelles d’un métier dédié à la fabrication des fantasmes sexuels mais aussi l’absurdité de la logique commerciale du milieu.
Retour sur Mathieu Trachman, l’homme grâce à qui tout a commencé
Pourquoi s’intéresser au porno au point d’en faire une thèse, puis un livre, puis d’adapter le tout en bande dessinée ?
J’ai commencé mes recherches il y a dix ans. Je voulais travailler sur les questions de genre et de sexualité, et le porno apparaissait comme un bon terrain : il suscitait beaucoup de débats théoriques mais on n’avait pas de données concrètes dessus. Et puis j’habitais près des locaux de John B. Root, j’y ai vu une opportunité. Pour ce qui est de la BD, « Sociorama » cherchait des enquêtes de terrain propices à la mise en récit. Ils m’ont approché et c’est là que Lisa Mandel est intervenue pour transformer les personnes de mon enquête en personnages.
L’album porte un regard très humain sur eux, qu’ils soient acteurs, producteurs ou techniciens. On est loin des clichés habituels…
On fantasme beaucoup le porno. L’idée, c’était de ne pas reprendre la vision très noire – celle qui dit que le hard, c’est de l’esclavage sexuel – parce qu’elle n’est pas juste dans la plupart des cas. Mais on ne souhaitait pas pour autant en donner une vision enchantée. Nous voulions aussi rendre compte des difficultés, des violences et des inégalités, qu’on trouve d’ailleurs dans d’autres métiers. Quant à l’aspect bon enfant de certaines scènes, on le voit dans mon livre : créer une intimité professionnelle sur un tournage favorise une mise en scène de soi pas évidente et des conditions de travail apaisées.
La BD est centrée sur la figure de l’actrice porno. Pourquoi ce choix ?
Mon travail est féministe et la BD l’est aussi. Nous voulions montrer que la trajectoire des actrices n’est pas celles de pauvres filles perdues et sortir de cette représentation misérabiliste. Même si elles peinent à imposer leur point de vue et qu’elles durent moins longtemps dans le métier que les hommes, ce travail est une manière d’affirmer leur sexualité et de remettre en question une sexualité dite « féminine ». Il ne s’agit pas d’être pro ou antisexe, mais de montrer des rapports de genre et de pouvoir complexes.