Love Dolls, les préjugés vs la réalité
19 janvier 2017Agnes Giard, anthropologue et spécialiste des questions sur la sexualité japonaise, nous expose les différents préjugés que les sociétés occidentales projettent sur les love dolls !
Il existe une idée stéréotypée, volontiers relayée par les médias, selon laquelle les firmes qui produisent des love dolls viennent au secours des célibataires. Ce discours marketing ne passe pas l’épreuve de la réalité : il suffit d’examiner les chiffres de vente pour constater le hiatus. Le marché des célibataires au Japon compte 13,6 millions de mâles, or il ne se vend guère plus de trois mille poupées par an. Ce que l’on nomme avec emphase l’ «industrie» des love dolls n’est qu’une activité artisanale de niche ; elle ne concerne qu’une infime minorité de personnes.
Pour le dire plus clairement : il ne suffit pas d’être en manque pour avoir envie de s’acheter une poupée. Le profil du client n’est pas celui de l’homme souffrant de sa solitude, ni celui du looser frustré qui se rabat –faute de mieux– sur un objet parce qu’aucune femme ne veut de lui. Non. La plupart des propriétaires de love dolls sont des otaku, c’est-à-dire des spécialistes de mondes virtuels qui préfèrent vivre seuls que fonder un foyer, parce qu’ils ne veulent pas faire comme papa-maman. Parce qu’ils on besoin d’objets conçus comme des écrans blancs, des surfaces de projection inanimées, muettes et fantomatiques.
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Le seconde idée reçue : pour les Occidentaux, la love doll c’est la Rolls Royce des poupées gonflables. En réalité, c’est un jouet sexuel de très mauvaise qualité. Elle pèse lourd (27 kilos en moyenne). Elle est difficile à manipuler. Pire encore : au Japon elle est vendue avec un vagin extractible, une pièce détachée qui s’enfonce en tire-bouchon ou s’éjecte à chaque coup de rein… Les utilisateurs ont beaucoup de mal à caler cet organe mou et glissant.
Pour résumer, la love doll n’est pas très « pratique ». Il est bien fois plus facile de se masturber dans un faux vagin qui coûte 4 euros pièce que de jouir dans une poupée à 6500 euros… Voilà pourquoi la love doll n’est pas vendue au Japon pour le sexe, mais pour l’amour. Les sites de vente japonais imitent des sites de rencontres matrimoniales. Les techniques de vente elles-mêmes participent de cette mise en scène. Suivant un protocole adopté par toutes les firmes, elles sont désignées sous les noms de «jeune fille» (musume). Quand un nouveau modèle est «lancé» on parle d’une «naissance» (tanjô), Le mot «vente» est remplacé par le mot «mariage» (yomeiri). Le «renvoi à l’usine» est transformé par euphémisme en «retour chez les parents» (satogaeri). Et lorsqu’un client souhaite jeter sa poupée, la firme – qui joue les intermédiaires avec une entreprise de recyclage – garantit qu’une cérémonie funéraire bouddhique sera effectuée au préalable…
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(Image à la une : Getty Images)