L’érotomanie, quand l’amour vire à l’obsession

Gwendoline Casamata 19 janvier 2025

Recevoir des lettres passionnées, des bouquets de fleurs et des déclarations d’amour enflammées… Tout cela peut sembler fort romantique. Mais si cela provient d’une personne que l’on ne connait pas ou, pire, que l’on a déjà clairement rejetée ? Si cette situation semble tirée d’un roman dramatique, elle est pourtant bien réelle pour certaines victimes d’érotomanes, des individus persuadés, contre toute logique, qu’un autre est follement amoureux d’eux. Ce trouble psychologique, rare mais fascinant, oscille entre obsession passionnelle et psychose délirante. On vous explique.

Les symptômes de l’érotomanie

L’érotomanie, ou syndrome de Clérambault , tire son nom de Gaëtan Gatian de Clérambault, un psychiatre français qui l’identifie pour la première fois en 1921. Contrairement à un simple béguin ou à un chagrin d’amour, ce délire structuré et persistant est difficile à traiter et potentiellement dangereux, tant pour l’érotomane que pour la personne convoitée.

Le plus souvent, l’objet de désir est une personne inaccessible comme une célébrité, un collègue ou un inconnu croisé. Mais dans tous les cas, le malade se sent investi d’une mission : répondre à cet amour imaginaire. Persuadé de la réciprocité de ses sentiments, il n’en démord pas, même face à des preuves contraires. Les rejets explicites sont réinterprétés comme de la pudeur, du déni ou un jeu amoureux. L’obsession peut s’intensifier jusqu’à devenir intrusive voire, dangereuse.

Selon Sébastien Garnero, psychologue et sexologue, l’érotomanie évolue en trois phases :

  • La phase d’espoir : l’érotomane est persuadé que ses sentiments sont réciproques. Cette conviction le pousse à multiplier les gestes intrusifs : cadeaux, lettres, appels, sms, apparitions imprévues…
  • La phase de dépit : Face à l’absence de réciprocité ou à un rejet explicite, l’érotomane sombre dans une dépression marquée par la tristesse et la frustration.
  • La phase rancœur et colère : C’est le moment le plus critique. La déception peut virer à l’agressivité, voire à des comportements dangereux comme du harcèlement, des menaces ou, dans de rares cas, des actes violents.

Quand le rêve vire au cauchemar

Les érotomanes choisissent souvent des figures publiques comme cibles, ce qui complique encore davantage la gestion de la situation. L’acteur Guillaume Canet a récemment partagé une expérience dérangeante : une fan était persuadée que Marion Cotillard, sa compagne, était amoureuse d’elle. Cette femme projetait même une colère intense sur Guillaume Canet, qu’elle considérait comme un obstacle à cet amour imaginaire. « Ces gens-là ont un souci psychologique sérieux », confiait Guillaume Canet, ajoutant qu’il avait dû collaborer avec les autorités tout en imposant de protéger sa famille.

Les comportements intrusifs des érotomanes peuvent perturber la vie des victimes et dégénérer en harcèlement persistant. Bien que rare, la violence dirigée vers l’objet du délire, ou vers des tiers perçus comme des « obstacles », reste une possibilité. Dans les cas extrêmes, l’érotomane peut tenter de manipuler la situation en menaçant de se faire du mal.

Mais quels sont les origines de ce mal ? Les racines de l’érotomanie sont souvent ancrées dans des blessures affectives profondes. Selon Patrick Papazian, sexologue, ce trouble pourrait être lié à :

  • Un manque d’amour dans l’enfance : l’absence de validation affective peut engendrer un besoin insatiable d’être aimé à l’âge adulte.
  • Un apprentissage défaillant des relations amoureuses : les érotomanes peinent à différencier réalité et fantasme dans leurs interactions affectives.
  • Un trouble psychologique sous-jacent : l’érotomanie est souvent associée à des troubles obsessionnels compulsifs (TOC) ou à des psychoses.

Un défi psychiatrique rare

Ce syndrome psychiatrique touche environ 15 personnes sur 100 000 dans le monde , selon une étude publiée dans la revue CNS Drugs . Même si les cas graves sont rares, ils attirent souvent l’attention en raison des conséquences spectaculaires ou tragiques qu’ils peuvent engendrer.

Le sexologue Patrick Papazian souligne que la plupart des gens ont vécu, à une échelle bien plus modérée, une forme de projection amoureuse : « Qui n’a pas cru, à tort, que son crush partageait ses sentiments ? Mais dans l’érotomanie, cette illusion devient un délire implacable, alimenté par des réinterprétations permanentes de la réalité. » La personne souffrante s’enfonce dans son délire fictif, faisant peu à peu l’impasse sur la réalité.  

Mais peut-on traiter l’érotomanie ? Oui, mais c’est un processus long et complexe. L’érotomanie nécessite une prise en charge spécialisée, reposant principalement sur :

  • Un suivi psychiatrique : pour traiter les délires et les comportements obsessionnels. Les médicaments antipsychotiques peuvent également aider à réduire les délires.
  • Une psychothérapie spécialisée : Travailler sur l’estime de soi et les traumatismes de l’enfance est crucial pour comprendre l’origine du trouble. Ce soutien peut aider à comprendre et surmonter les blessures émotionnelles sous-jacentes.
  • La protection des victimes : Dans les cas graves, des mesures légales, comme des ordonnances de protection, peuvent être nécessaires.

Heureusement, ce syndrome reste rare. Mais cette psychose passionnelle, où l’illusion remplace la réalité, peut avoir des conséquences dramatiques pour l’érotomane et sa victime. Et l’amour, lorsqu’il devient obsessionnel, peut être aussi destructeur qu’envoûtant. Alors, la prochaine fois qu’une déclaration d’amour vous semble trop intense pour être vraie, méfiez-vous : entre Cupidon et Clérambault , il n’y a parfois qu’un pas.

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